Mieux comprendre la douleur
- Emmanuelle Rivest-Gadbois
- Mar 20
- 8 min read

La douleur est essentielle pour la survie de l’humain mais comme humain, nous en comprenons pas toujours la cause ou la nécessité. En physiothérapie, rares sont les gens qui ne me consultent pas pour de la douleur physique. Par contre, depuis les 20 dernières années, en tant que physiothérapeute, ma constatation la plus frappante est que la majorité des gens qui me consultent avec de la douleur, ne comprennent pas pourquoi ils ont mal! Ce qui rend la chose difficile, c’est que nos connaissances à propos de la douleur sont assez limitées dans la population générale et même dans la communauté scientifique ou médicale. De plus, les recherches et la compréhension de la douleur évoluent à un rythme fulgurant. Il est donc difficile de se tenir à jour comme professionnel de la santé et encore plus difficile de transmettre cette information adéquatement au reste de la population.
Pourtant, la compréhension de la douleur est, selon moi, fondamentale. Dans ce blogue, je tenterai donc d’en résumer les grandes lignes afin que vous puissiez, vous aussi, mieux comprendre la douleur.
La douleur: ce merveilleux système d’alarme!
Comme je disais en introduction, la douleur est essentielle à notre survie. En effet, une personne ne peut survivre très longtemps sans avoir besoin que la douleur l’avertisse que quelque chose n’est pas sécuritaire. D’un point de vue évolutif, la douleur nous a servi à apprendre que le feu ça brûle, qu’un couteau c’est coupant et qu’on ne peut malheureusement pas voler de très haut sans atterrir et se blesser assez vite. L’être humain a donc appris et transmis ses informations aux futures générations afin d’assurer sa survie.
Selon moi, la meilleure comparaison pour mieux expliquer la douleur est de la comparer à un système d’alarme. Un système d’alarme hypercomplexe, régi par un système nerveux hyper puissant.
La douleur n’est PAS une simple réflexion du dommage de nos tissus dans notre corps.
La douleur est beaucoup plus complexe! Quand on se blesse, les petits récepteurs de danger dans nos tissus que l’on appelle les nocicepteurs, envoient un message dans notre moelle épinière. Les neurones dans cette dernière analysent l’information reçue selon une multitude de données. Elles envoient les messages de danger au niveau du cerveau si elles jugent que l’information est assez pertinente.
Une fois rendue au cerveau, cette information est encore analysée selon plusieurs facteurs.

Notre système nerveux et notre cerveau analysent les informations selon nos croyances ou nos connaissances, notre passé et nos expériences, notre environnement, notre santé globale et nos comportements. Selon l’interprétation de tous ces facteurs, notre système d’alarme de douleur nous enverra une douleur d’intensité faible, moyenne ou forte! Un peu comme si elle ajustait le volume de la douleur selon la nécessité de notre corps d’y porter attention.
Dans le cas d'une blessure qui vient de se produire, dans un environnement sécuritaire, chez une personne en relativement bonne santé physique et mentale, l’intensité de la douleur va normalement être plutôt proportionnelle à l’intensité de la blessure. Elle va pousser la personne à porter attention à ce qui vient de se produire, peut-être s’immobiliser, se reposer, afin que notre corps puisse promouvoir la guérison de cette blessure. C’est bien fait non? La douleur est là pour nous avertir et nous forcer à respecter que notre corps a besoin de se reposer pour faire en sorte que nous guérissions adéquatement!
La douleur nous protège et promeut notre guérison!
Vous aurez peut-être compris, par contre, que ce n’est pas toujours aussi simple.
Prenons la même blessure qui vient de se produire et changeons certains paramètres… Imaginons que la personne est dans un environnement dangereux et doit fuir pour sa survie; pensez-vous que la douleur sera aussi intense? Ou, est-ce que la douleur sera réglée à la baisse afin que la personne se sorte de cet environnement et assure ainsi sa survie?
Effectivement, la personne ne ressentira pas la même intensité puisque le danger potentiel autour d’elle est plus grand que la blessure qu’elle vient de subir.
Et si on joue avec un autre paramètre. Imaginons toujours la même blessure mais cette fois-ci, la personne qui la subit n’est pas en bonne santé globale (soit physique ou mentale). Que pensez-vous qui va arriver avec l’intensité de sa douleur?
Habituellement, cette intensité sera plus grande car cette personne a déjà des défis à relever au niveau de sa santé, que ce soit sa santé physique ou mentale, ça ne change rien pour notre système nerveux. Le corps, ou à vrai dire, le système nerveux va donc vouloir permettre à cette personne de se reposer plus afin de mieux la protéger. C’est une belle stratégie, non? Mais pensez-vous que c’est toujours utile pour la personne qui souffre de cette douleur? Malheureusement, non. Parfois ce système d’alarme devient un peu trop vigilant et empêche la personne de faire ce qu’elle devrait faire pour guérir et aller mieux…
Parfois le système d’alarme devient un peu trop performant!
La plupart des tissus humains, que ce soit un muscle, un ligament, un tendon ou un os, devraient guérir dans un délai d’environ 3 mois. Alors pourquoi est-ce que certaines personnes ressentent de la douleur plus longtemps que cela? Si vous avez retenu une phrase bien importante, vous me répondrez: Parce que la douleur n’est pas une simple réflexion du dommage tissulaire! Excellent!!!
Hé oui, malheureusement, plus d’un Canadien sur cinq souffre de douleurs chroniques. C’est une dure réalité qui fait souffrir un grand nombre de gens! Chaque personne est différente et chaque cas est unique mais certaines de ces douleurs peuvent être expliquées par un système d’alarme de douleur qui devient hyper protecteur. En effet, dans plusieurs cas, la douleur ressentie par la personne est une réflexion d’un système d’alarme qui essaie de la protéger un peu trop et qui l'empêche de promouvoir sa guérison. La douleur chez ces personnes est toujours réelle, elle n’est pas un figment de leur imagination, bien au contraire! Cette douleur n’est juste pas proportionnelle à la guérison du tissu blessé. Elle peut être influencée à la hausse par tous les mêmes facteurs que l’on nommait précédemment.
Prenons un cas très fréquent que je vois quotidiennement en clinique. Une personne qui s’est blessée au coude et, pensant bien faire, s'est reposée et a immobilisé la partie blessée pendant 3-4 semaines. Elle a donc arrêté ses activités physiques, a mis une attelle à son bras, a pris des anti-inflammatoires pendant 2-3 semaines, le temps que la douleur diminue. Après ce temps, elle décide d’enlever son attelle mais la douleur est encore très présente alors elle tente de bouger son coude mais n’y arrive pas car ça fait trop mal. Elle décide d’appeler son médecin et réussit à le voir 2-3 semaines plus tard. Le médecin lui dit, habituellement, de continuer les anti-inflammatoires, le repos et si ça ne se passe pas d’aller en physiothérapie. Elle arrive donc en physiothérapie environ 2-3 mois après la blessure. La douleur est encore très intense mais est-ce que ça veut dire que le tendon n’est pas guérit?
Non, habituellement cette douleur est plus reliée au fait qu’elle a malheureusement pris des anti-inflammatoires qui ont affaibli ses tissus. De plus, elle a reposé son bras et son corps au complet sans activité physique pendant tout ce temps. Du coup, elle s’est affaiblie en général au niveau de sa force et de sa santé physique. Ajoutons aussi qu'elle est allée voir sur internet et parlé avec ses amis qui lui ont tous dit que les blessures au coude ne guérissent pas bien et que la plupart du temps la douleur devient chronique. Alors, elle commence à s’inquiéter qu’elle aura cette douleur pour toujours et ne sera plus jamais capable de reprendre son emploi adéquatement, ni ses activités physiques ou quotidiennes.
Je pourrais continuer encore mais vous comprenez sûrement comment, rendu à ce stade-ci: la douleur est devenue une réflexion de son système nerveux qui la protège un peu trop et qui, influencée par une multitude de facteurs, l'empêche d’avancer et de guérir adéquatement.
On pourrait donner exemples après exemples de ces cas où la douleur est bien plus largement influencée par des facteurs autres que le tissus lui-même! Mais continuons à mieux comprendre ce qui va réellement influencer notre douleur.
Tout peut influencer notre douleur!
En gros, la réponse est simple: tout peut influencer la douleur! Puisque nous sommes tous des êtres humains complexes, avec notre histoire à nous, notre génétique, notre environnement, nos habitudes de vie, nos comportements et nos croyances personnelles, chaque réalité est différente. Par contre, une chose est certaine, nous sommes tous influencés par divers facteurs. Que ce soit l’environnement, le climat politique, les réseaux sociaux, nos professeurs à l’école, les membres de notre famille et de notre cercle social etc, toutes ces choses ont une influence sur comment nous nous sentons au quotidien.
Puisque tout cela a un impact sur nous et sur comment on perçoit la vie autour de nous, toutes ces choses peuvent aussi avoir une influence sur notre sensation de douleur. Même notre système immunitaire, notre alimentation et nos habitudes de vie auront une influence sur ce système d’alarme complexe!
En effet, si nous revenons à notre analogie du système d’alarme, s’il perçoit un danger pour nous, que ce soit un danger réel: nous combattons une mauvaise grippe, ou un danger potentiel: je ne me sens pas en sécurité quand j’écoute les nouvelles et que je vois l’état des relations politiques dans le monde, notre système d’alarme va réagir pour nous protéger! Il va donc moduler à la hausse ou à la baisse notre douleur.
Ouf! Ça semble inévitable! Nous ne pourrons jamais nous débarrasser de cette douleur avec tous ces facteurs l'influençant! Et bien non, c’est ça la beauté de mieux comprendre la douleur!
Une multitude de choses peuvent aider à diminuer la douleur
Si vous comprenez bien que ces divers facteurs ont un impact sur la douleur, vous comprenez aussi que TOUS ces facteurs peuvent l’influencer à la baisse!
Eh bien oui, vous avez bien lu!
Si nous apprenons comment ces facteurs nous affectent, ce qui nous impacte, nous comme personne, nous comprendrons alors comment mieux gérer notre douleur!

Pour certains, ce sera une remise en forme, pour d’autres, mieux gérer les stresseurs et l’environnement autour d’eux ou peut-être de recadrer certaines notions ou croyances. La beauté est que chacune de ces techniques peuvent être une des pièces du casse-tête de la meilleure gestion de notre douleur. Nous pouvons donc commencer par être honnête envers soi-même et regarder les influences sur notre douleur, j’appelle ça jouer au détective!
Observer comment notre douleur est variable au courant de la journée ou de la semaine et noter ce qui l’a affecté. Ensuite, reprendre le contrôle, un petit but à la fois!
Pour plus d’idées afin de bien bâtir vos objectifs, relisez le blogue: Créer de bonnes habitudes: Par où commencer.
Par contre, les casse-têtes peuvent être compliqués et nous ne sommes pas toujours capable de bien comprendre tout ce qui peut influencer notre douleur alors n’ayez pas peur de consulter votre professionnel de la santé pour mieux comprendre votre situation à vous!
Mais ne lâchez pas, les solutions sont là, il suffit de chercher et de persévérer. Peut-être que la douleur n’arrivera pas à partir complètement mais la souffrance qu’elle fait vivre, ELLE, peut diminuer voir disparaître!
Références:
Moulin DE, Clark AJ, Speechley M, Morley-Forster MK. Chronic Pain in Canada – prevalence, treatment, impact and the role of opioid analgesia. Pain Res Manag. 2000;7:179–84. doi: 10.1155/2002/323085.
Schopflocher D, Taenzer P, Jovey R. The prevalence of chronic pain in Canada. Pain Res Manag. 2011 Nov-Dec;16(6):445-50. doi: 10.1155/2011/876306. PMID: 22184555; PMCID: PMC3298051.
Moseley & Butler (2017) Explain Pain supercharged. Noigroup Publications. 234 pages
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